Articles des pigistesSaint-Adalbert, Saint-Pamphile

Le sauvetage sur la rivière Saint-Jean du 1er avril 1986

Par Yoland Bélanger le dans Centre Culturel Godend'Art, Rivière Saint-Jean, Sauvetage.

Dimanche le 10 avril, j’ai assisté à une présentation captivante de Réjean Miville au Centre Culturel Godend’Art de Saint-Pamphile. Le but était de nous raconter le dramatique sauvetage sur la rivière Saint-Jean dans le Maine. Malheureusement un homme est décédé et un autre a été « héroïquement » sauvé. Réjean avait participé avec trois autres compagnons de travail à ce sauvetage. Ce drame s’est produit le 1er  avril 1986.

Une présentation captivante de M. Réjean Miville sur le dramatique sauvetage du 1er avril 1986.

Le pont « temporaire » de 450 pieds sur la rivière Saint-Jean était construit chaque année au début de l’été et démonté avant la crue des eaux au printemps. Alternativement, une année c’était Maibec qui en était responsable et l’autre année c’était Matériaux Blanchet. Avec les années, les responsables savaient quand il fallait le démonter.

Cette année-là, les ouvriers débutèrent les travaux le 1er avril. Ils ont alors entendu un très fort craquement et ils ont constaté que les glaces cédaient. En moins d’une minute, les poutrelles se rompirent et furent emportées par le courant, ainsi que les énormes piliers de bois qui furent arrachés de leurs fondations en béton. Il y avait trois personnes sur le pont. Donat Pelletier eut juste le temps de se réfugier sur la rive nord. Sur le pont, il y avait aussi Pamphile Leclerc, 58 ans, qui enlevait les poutrelles d’acier avec un « lift », il n’a pas eu cette chance. En moins d’une minute, Monsieur Leclerc fut projeté dans la rivière. Son corps ne fut retrouvé que deux mois plus tard, à 200 kilomètres en aval. Il y avait aussi un troisième ouvrier sur le pont, Raymond Bourgault, il fut emporté par le courant et se retrouva très rapidement à plus de 600 mètres en aval, sur un des piliers de bois qui flottait à deux mètres au-dessus de l’eau et de la glace.

Dès la débâcle, le contremaitre Étienne Avoine avait contacté par radio Denis Blanchet, un des propriétaires de Matériaux Blanchet, situé à 23 kilomètres du pont. Denis était reconnu comme une personne de décision. Immédiatement, il a compris qu’il fallait agir vite. L’entreprise avait une grosse embarcation de près de 400 livres dans un hangar, Monsieur Blanchet a dit aux employés : « Nous n’avons pas le temps de pelleter la porte, défoncez-la avec un lift ».  Rapidement la chaloupe était dans le pick-up et avec deux hommes, ils se dirigèrent vers la rivière.  Aussitôt arrivés, avec l’aide d’un « skidder », ils amenèrent l’embarcation à travers la forêt. Raymond était à 300 mètres donc, plus près de l’autre rive.

Réjean nous a mentionné que tandis que Denis partait avec la chaloupe, André Blanchet, un autre propriétaire avait déjà contacté la « Garde-côte » canadienne et l’US ARMY pour avoir de l’aide.

Il fallait quatre hommes pour guider le bateau. Sachant que le risque d’y rester était très présent, Denis regarda dans les yeux Réjean Miville et celui-ci se proposa immédiatement. Réjean était un homme de 36 ans très en forme, un athlète, ensuite il se tourna vers Guy Bernier, un pompier volontaire de son village et joueur de hockey qui accepta lui aussi. Il fallait un 4e homme et Denis se tourna vers Donat Pelletier.  Donat avait crié à Raymond qu’il le sauverait et il se proposa d’être le 4e homme.

Denis connaissait bien ses hommes et savait qu’ils feraient tout pour sauver un des leurs au risque de leur vie. Tous avaient déjà regardé à la télévision les courses de canots du « Carnaval de Québec » mais là, il allait falloir appliquer des manœuvres semblables avec une embarcation beaucoup plus lourde.

Les quatre hommes couraient sur la glace instable et ne ressentaient pas la fatigue, mais ils étaient à bout de souffle. À mi-chemin, ils étaient épuisés et Denis leur dit : « Arrêtons-nous une minute pour reprendre notre souffle ». Ils n’eurent que le temps de s’appuyer sur la chaloupe que l’embâcle commençait à céder. Avec un regain d’énergie, ils reprirent leur course et atteignirent Raymond. Denis l’aida à monter dans le bateau.

Il leur restait à se rendre sur la rive opposée. À moins de 30 mètres de leur but, Denis, Guy et Donat s’enfoncèrent dans un mélange d’eau, de neige et de glace. Ils s’accrochèrent au bateau, incapables de faire un geste. Réjean plongea à l’avant du bateau dans plus d’un mètre d’eau et tira seul l’embarcation jusqu’à la rive. À peine touchaient-ils la rive, qu’ils entendirent le bruit monstrueux de la débâcle qui cédait. Ils avaient réussi à sauver l’un des leurs. Peu après un hélicoptère de l’US Army qui venait d’arriver les amena aux ambulanciers du Québec. Ce sauvetage fut une démonstration de courage exceptionnel.

 Lors de ce récit, il y a eu beaucoup de questions de l’assistance, car parmi les personnes présentes beaucoup avaient un parent, un grand-parent qui avait travaillé dans les forêts du Maine. De plus, la famille maternelle de Réjean, dont sa mère Fernande Bélanger, a vécu de 1935 à 1949 sur leur ferme aux « Sept-Îles », sur le bord de la rivière Saint-Jean.

Il y a une question que j’ai trouvée très pertinente ainsi que la réponse : « Avez-vous eu du soutien psychologique » ? La réponse de Réjean a été : « NON, il y a 36 ans, ce n’était pas quelque chose dont on parlait, mais j’ai été durant des mois à rêver et à me réveiller la nuit dans une rivière de glace. »

Les sauveteurs ont reçu des USA la médaille Carnegie pour acte de bravoure exceptionnel et la médaille du civisme du ministère de la Justice du Québec. Dix ans plus tard, un pont permanent fut construit. Monsieur Bourgault est décédé à 85 ans, ce sauvetage a donc ajouté 26 belles années à sa vie.

J’aimerais mentionner qu’en plus de la présentation de Réjean, j’ai pris plusieurs informations dans un article de près de six pages paru dans le Sélection du Reader’s Digest de février 1992 dont je suis un abonné depuis ma jeunesse….

L’illustration : Donald-Yvan Jacques