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Les couleurs du temps

Par Laétitia Leclerc, Collaborateur le .

Voici l’histoire complète (3 parties) de «Les couleurs du temps»

Qu’il s’agisse de temps immémoriaux, de temps médiévaux, de siècles ou simplement de générations précédant la nôtre, chaque époque, par son caractère, nous offre de saisissants contrastes historiques et patrimoniaux.

Les anciens ont lutté. Ils ont ri et pleuré. Ils ont démontré force et courage lors de leur pèlerinage sur terre. Il en fut ainsi pour toute la lignée des Chouinard. Voici donc dans le cadre de « Nos souvenances », leur digne représentante, madame Lucie Chouinard-Caron (voir photo) qui est maintenant âgée de quatre-vingt-treize ans. Un deuxième volet s’y greffera. Il sera question de son mari, monsieur Louis-Félix Caron, qui a fait sa marque en démontrant beaucoup d’intérêt et d’implications dans la paroisse. Nous y reviendrons.

Madame Lucie? Pourrait-on la dessiner avec les mots? Ça se pourrait, si le portrait dressé reflète une dame douce et discrète. Réservée et d’une présence chaleureuse, tout se passe dans son regard. Sans s’y tromper, on pourrait affirmer que la mesquinerie ne fait pas partie de son univers. Vous le verrez! Elle s’abstient des jugements sévères envers qui que ce soit. Madame Lucie est une petite femme à grande présence.  D’une sociabilité remarquable, ses rencontres se déroulent dans l’aisance, le naturel et la jovialité. Son esprit vif et rieur tend vers la coquinerie et la blague. Le rire, c’est bon pour la santé, il faut croire! Pour résumer, elle aime le monde et nous vous laissons deviner qu’il est agréable de la côtoyer.

Accompagnée de son fils Gaétan et de sa fille Suzanne, madame Lucie, généreuse, nous a fourni une foule de renseignements qui enrichissent nos données patrimoniales. Vous le savez peut-être, il n’y eut qu’un ancêtre Chouinard. Jacques fut son prénom. Pour la plupart des Québécois pure laine, les souches remontent au pays de France. Les Chouinard n’y font pas exception puisque le village natal de l’ancêtre Jacques Chouinard est Nouzilly en Touraine, dans le département d’Indre-et-Loire. Pour ce qui est de la date exacte de l’arrivée de  Jacques au pays, on l’ignore. En revanche, on sait qu’il se marie à Québec, en 1692. Son épouse fut une demoiselle Louise Jean.

Mais, pour le moment, revenons par chez-nous, région Beauce-Appalaches, dans le haut du comté de l’Islet, à Saint-Pamphile. Tout un chacun connaît la grande activité de colonisation qui s’y est déployée dans les années 1800. C’est le plus loin que nous pouvons aller concernant notre histoire propre. Cet immense projet a attiré des hommes forts, jeunes et en santé. Sans oublier une dot de valeur, qui consistait en un caractère bien trempé. Si bien trempé en fait, qu’on l’eût dit passé sous un feu de forge. Pour ne pas être en reste, il leur fallait des femmes du même acabit et ils les ont trouvées.

En ce qui regarde la famille Chouinard, ils étaient venus cinq frères. Ils restèrent quatre : Flavien, Émile, Marc et Antoine. Le cinquième, Romuald, quitta la place pour le Saguenay/Lac St-Jean, il s’arrêta à Port-Alfred. Il serait malheureux d’oublier leur sœur Alma qui fut, en fait, la sixième de la même famille à regagner nos contrées; elle épousa monsieur Jos. Gamache. Madame Alma était la mère de mademoiselle Antoinette et de monsieur Michel Gamache que nous connaissons davantage. 

Ces Chouinard-là étaient les enfants de Jean-Gualbert et de Marie-Rose Caron de Saint-Jean-Port-Joli. Les cinq gars partaient donc du bord du fleuve. Une fois arrivés ici, galvanisés par cette immensité sauvage, ils prirent toute la mesure du travail à accomplir. Les réflexions de longue durée n’étaient pas d’usage. En avant les braves! Un toit pour s’abriter et de la terre défrichée pour assurer la subsistance, là était l’urgence de la situation.

Dans cet écrit, grâce aux renseignements fournis par madame Lucie, nous ferons tout de suite un aparté pour Flavien, son oncle paternel. Il fut baptisé le 20 janvier 1869 à Saint-Jean-Port-Joli. En âge de se marier, il prit pour épouse mademoiselle Hélène Bois, en la paroisse de Saint-Aubert, le 21 octobre 1890. Leur première fille, Charlotte-Hélène, naissait cependant à Saint-Pamphile en 1892. Flavien avait vingt-trois ans. Fidèle aux coutumes du temps, une nombreuse progéniture suivit. En effet, Hélène mit au monde douze enfants.

Ce que Flavien ne savait pas en octobre 1890, c’est qu’il se marierait trois fois. Élisa Lagacé fut sa deuxième épouse ; ils se marièrent en 1909. Sa troisième épouse fut Elmire Ruel, le mariage eut lieu en 1920. Aucun enfant ne s’ajouta à ceux que Flavien avait déjà. 

Un destin comme celui de Flavien dépasse presque l’entendement. Il fut l’aîné de sa famille et nous apprenons que la disparition de son père le laissa responsable et obligé envers ses frères et sœurs. Jeune, il fut donc confronté à des défis réservés d’ordinaire à des gens de plus grande maturité. Malgré sa précocité, il s’acquitta avec fierté et courage des attentes qui pesaient sur ses épaules. Déjà, il manifestait de la puissance dans l’action. Cela ne passait sûrement pas inaperçu aux yeux de ses frères et sœurs. On peut présumer qu’il fut pour eux tous, une source d’inspiration et de motivation.

Ensuite, quand il fut temps de mener sa propre vie, il était prêt et tout à fait disposé à tirer son épingle du jeu. Il est à remarquer que dans le livre du Centenaire de Saint-Pamphile, on souligne, dès 1887, les activités de Flavien dans le domaine de l’exploitation forestière. Il avait dix-neuf ans. Nous serions enclins à croire que cet homme est né sous des auspices particuliers! Pourquoi? Il devient difficile de penser autrement en prenant connaissance de son parcours.

Travailleur infatigable, capable des plus grands efforts, Flavien était un entrepreneur de premier ordre. Ce que nous rapportons ici n’est qu’une globalité, un faible aperçu du déploiement de ses activités. Flavien était solide comme un roc. Les évangiles relatent la parabole des talents; il semble bien que monsieur Chouinard n’a pas caché le sien sous le boisseau. Il s’agit bien ici de la multiplication des talents. On peut observer à la lueur de nos informations, qu’il déploya, durant sa vie, un éventail impressionnant de ses capacités. Pour l’époque et encore aujourd’hui, il demeure incontestablement une figure marquante de notre région et bien au-delà! Sa personnalité abritait une confiance en soi inébranlable, une intelligence vive et une vision élargie qui l’ont mené aux sommets de l’entreprenariat dès le début du 20e siècle.

Sans l’ombre d’un doute, son principe premier venait du fait que tous les problèmes comprenaient leurs solutions. Sa puissante ambition dissipait non seulement le doute mais stimulait un lot de personnes qui gravitaient autour de lui. Flavien commença cependant  comme beaucoup d’autres, comme simple défricheur… Mais dans son cas, la terre ne serait qu’une amorce. Il s’est démené comme un diable, c’est le moins qu’on puisse dire. Une fois entrepris ses opérations forestières, il comprit vite qu’il lui serait favorable d’apprendre l’anglais. Il se donna donc les moyens pour maîtriser cette langue. Ainsi pourrait-il mieux profiter de ses nombreux échanges commerciaux avec les Américains et les gens d’affaires du Nouveau-Brunswick!

Flavien a ouvert tout ce qui pouvait s’ouvrir : magasins, chantiers, transport du bois par voie d’eau, moulins à scie, sans compter les acquisitions d’innombrables propriétés boisées de notre comté et des comtés voisins. À titre d’exemple, relatons sommairement une autre des ses entreprises. Pour répondre à ses besoins et à ceux d’autres cultivateurs comme lui, Flavien organisa, dans les années 1910, de formidables descentes, sur la route Elgin. Il s’agissait d’y acheminer des troupeaux de bêtes à cornes, destinées à la charcuterie. Imaginez ces bêtes « meuglantes » et fumantes, maintenues dans le même sillage en direction de Lafontaine à Sainte-Perpétue. Pour vendre la viande et en récolter le profit, il fallait prendre les moyens. Parmi ceux-là, le transport par train. Nous pouvons imaginer leur arrivée là-bas! Toute qu’une épopée! C’était quasiment le Far West!!!

Il fit également dresser des poteaux télégraphiques pour les besoins de ses nombreux commerces. Le but poursuivi était de pouvoir communiquer avec l’extérieur.

Flavien et ses cinquante années d’activités ont laissé des souvenirs. Selon un document fourni par madame Lucie Chouinard, les Archives Nationales ont conservé quelques classeurs remplis de documents reliés aux activités forestières de monsieur Flavien Chouinard. Nous comprenons ici toute l’ampleur liée à la mise en place de ses chantiers.

La reconnaissance, à l’endroit de ce Chouinard impétueux, se trouve renforcée par la souvenance de son attitude charitable et compréhensive envers ses employés. On compte, parmi les heureuses conséquences de ses activités entrepreneuriales, le fait que de nombreux foyers ont  pu vivre décemment, grâce à l’emploi fourni aux chefs de famille, seuls pourvoyeurs en ces temps lointains.

L’un des enfants de Flavien se nommait Jean. Il eut un magasin, là où fut située la pharmacie pendant de nombreuses années et jusqu’à récemment. Dans la suite des générations, il y eut donc Flavien, Jean, Guy et Jean-Guy Chouinard Câble T.V. que tous connaissent dans la région. Flavien était son arrière-grand-père, il vivait sur le terrain avoisinant pharmacie, du même côté.

Parmi ces Chouinard, nous avons deux Émile. L’un était le père de l’autre. Le père a uni sa destinée à Maria Legros de notre paroisse. Cette demoiselle faisait partie de la lignée des Legros à Ernest. Le fils, Émile se fit barbier. Il installa sa chaise à la salle paroissiale. Il avait trouvé son métier.

Antoine, quant à lui, a aussi tenu un magasin général. L’un de ses fils, Hervé, prit la relève. Dans les propos tenus par les aînés, on se rappelle souvent ces lieux de commerce. D’autant plus, qu’ils étaient des endroits de prédilection pour piquer une petite jasette.

Madame Lucie Chouinard, quant à elle, était la fille de Marc. Sa mère était madame Laura Ouellet du Lac Trois-Saumons, fille de Gaspard Ouellet et de Rose-Délima Ouellet. Ayant reçu de l’instruction, mademoiselle Laura était venue enseigner à Saint-Pamphile, d’abord au rang Double. En deuxième lieu, elle exerça sa profession au rang Simple et, pour finir, elle obtint une place dans une école, « dans le bas de la route », selon l’expression consacrée qui signifie toujours qu’on s’est éloignée du village vers le nord.  « Ça serait-y rendu là, dans l’bas d’la route, que Marc l’aurait remarquée? » Belle comme elle était, elle ne passait pas inaperçue!  

Madame Laura mit au monde dix-huit enfants. Madame Lucie, née le 8 septembre 1919, était la huitième. Ce qu’il faut savoir, c’est que madame Laura a connu dix-huit grossesses, mais il ne lui est resté que huit enfants vivants. Les voici : Jean-Luc, Paul, Clément, Robert, Dorothée, Lucie, Solange et Monique. Parlons donc  du petit dernier, le dix-huitième, Robert, né le 18 avril 1934. Il est présentement âgé de soixante-dix-sept ans. Cet homme est un véritable mélomane, plus encore, il est notre  ténor local. Il a fait frémir tous les paroissiens de la ville en entonnant son « Minuit Chrétien » à la messe de minuit pendant de nombreuses années à Saint-Pamphile. Mentionnons aussi sa contribution comme membre de la chorale de l’église et membre du Chœur des Grands Bois. Son frère Paul exerça lui aussi ses talents comme choriste. Si on veut ouvrir une parenthèse concernant cette dernière chorale, disons qu’elle demeure inoubliable, ici à Saint-Pamphile. Pour en parler, il serait de bon aloi de remonter plus loin dans le temps, car le Chœur des Grands Bois a eu des racines profondes comme vous le verrez. 

Avant d’y venir, nous parlerons d’abord de monsieur Félix Caron. Né le 10 juillet 1909, il était issu de la famille de monsieur Albert Caron et de madame Léda Chouinard de Saint-Adalbert. Félix était de la génération qui commençait à travailler «de bonne heure» : il n’était pas rare qu’à treize ans, certains garçons quittent la maison paternelle pour assumer des tâches qui requéraient l’endurance d’un adulte. Ils se retrouvaient souventes fois dans les chantiers. Quoi qu’il en soit, le temps passait et vint un moment où Félix affichait fièrement ses vingt ans. Il prit  alliance. Il se maria en 1929 à une demoiselle Germaine Castonguay de Saint-Adalbert. Malheureusement, Monsieur Félix perdit son épouse. De cette épreuve, il lui resta la consolation d’être devenu père. Il avait un fils, Jean-Louis, de son nom de baptême. Ce dernier prononcera ses vœux. Il deviendra prêtre.

Peu avant 1950, Monsieur Félix était toujours veuf. Il désirait refaire sa vie. Encore fallait-il trouver celle qui ferait son bonheur. Toujours bien, qu’un bon jour, il mit les pieds chez  monsieur Marc Chouinard. Savait-il qu’il y avait là des filles à marier? Peut-être! Quoi qu’il en soit, c’est ce jour-là qu’il entrevit une opportunité qui était loin de lui déplaire! Le hasard arrange bien des choses   quelquefois. Ainsi, d’une affaire à l’autre, il lui arrivait d’être invité pour prendre le repas… et tout au plaisir de se sustenter, il nourrissait d’autres desseins… plus romantiques.

Voyons donc la suite des événements. Marc Chouinard et ses fils Clément et Paul avaient instauré, depuis plusieurs années,  un système de transport pour accommoder les commerces du coin. Comme bien d’autres, ils se rendaient au train. C’était une nécessité! Voyageant en voitures tirées par les chevaux jusqu’à Sainte-Perpétue, ils y récupéraient la marchandise. Ils s’affairaient ensuite à la distribuer dans les différents commerces, spécialement ceux qui concernaient les commerces d’Antoine et de Flavien. Les années passaient. Soulignons que  notre Félix possédait un camion, le chanceux! Aussi, quand monsieur Marc Chouinard cessa ses allers-retours à Lafontaine, Clément Chouinard et Félix Caron continuèrent le transport, en camion! Par bonheur, il fallait un petit arrêt à la maison Chouinard! Après le repas, Félix reprenait la route, soutenu par l’espoir heureux de voir ses projets se réaliser et , dans les faits, ils se réalisèrent.

Madame Lucie et monsieur Félix devinrent mari et femme le 15 octobre 1949 (voir photo). Félix avait quarante ans, Lucie en avait trente. Ils eurent trois enfants : Suzanne, Gaétan (époux de Louise Lebel, originaire de Rivière-du-Loup), et Marc-André (époux de Chantal Vaillancourt, fille d’Adrien Vaillancourt et de madame Jeanne D’Arc Dubé de Saint-Pamphile). 

Parlant de Marc-André, Gaétan et Suzanne, nous voici gentiment revenus à l’histoire du Chœur des Grands Bois. Et aussi, à celle de Jean-Louis, qui était leur demi-frère. En plus de ses connaissances théologiques, ce dernier détenait une très belle formation musicale, un acquis qu’il puisa à la célèbre École Vincent d’Indy à Montréal. Et c’est pour cette raison qu’il fut sollicité pour participer aux grandes fêtes qui se préparaient à Saint-Pamphile en 1970. Il avait ses trente-neuf ans et il était en pleine possession de ses moyens. Monsieur l’abbé Jean-Louis Caron devint donc le responsable, à la direction de la très grande chorale, mise en place, à l’occasion particulière du Centenaire de Saint-Pamphile. La chorale comprenait cent-quarante-deux personnes de sept à soixante ans. Il va s’en dire que l’on apprécia les talents et les compétences de Jean-Louis, car ce fut une grande réussite! 

Au moment des fêtes du Centenaire, Marc-André, encore jeune garçon, avait déjà une dizaine d’années. Il est plausible que le passage occasionnel de son demi-frère à la maison paternelle ait influencé à la hausse un potentiel déjà très présent : quelques accords harmonieux, des chants accompagnés au piano et la merveille d’une mélodie bien interprétée, voilà un cocktail inspirant pour une oreille déjà exercée. L’ivresse, la passion révélée! La musique ne sortirait jamais de sa vie. Déjà qu’on donnait de la voix dans la famille Chouinard, et cela depuis longtemps! On chantait sans se faire prier. D’ailleurs, les deux autres enfants de madame Lucie, Suzanne et Gaétan adorent aussi le chant. Soulignons que cette chorale a enchanté notre milieu pendant plus de vingt ans. Elle connut une évolution digne de hautes voltiges. Le chef de chœur avait du cœur, de la passion et de l’énergie pour répondre à ses ambitions. On pourrait dire, à l’image du grand-oncle Flavien finalement!

Et, combinaison gagnante, un public fidèle et appréciateur! Nuances exquises, ambiances émouvantes! Le maître d’œuvre de ces harmonieuses réussites? Marc-André, le benjamin de la famille Caron. Il ne faudrait pas passer sous silence la contribution de son épouse Chantal, toujours impliquée dans les différents projets de la chorale. Elle a été d’un soutien indéfectible en ce qui regarde la passion musicale de Marc-André. Et elle l’est toujours. Soulignons que la mère de Marc-André, demeure l’admiratrice la plus inconditionnelle du talent de son fils. Dans cette entrevue, nous tenions à rappeler l’existence de cette chorale, puisqu’elle a laissé ici de sensibles empreintes. Son souvenir demeurera dans les archives patrimoniales de « Nos Souvenances ».

Toujours chez les Chouinard, M. Clément, frère de madame Lucie, hérita des biens paternels sis au 2580, Elgin nord… dans l’bas d’la route! Entre autres, ses fils sont aujourd’hui les propriétaires d’une érablière qui entra dans les annales de la famille en 1928. À ce moment-là, personne ne se doutait que les quinze-cents entailles du départ deviendraient une entreprise de grande envergure.

À cette époque comme aujourd’hui, la saison printanière justifiait allègrement les rencontres d’amis et de parents. Les enfants n’étaient pas en reste. Ils s’en donnaient à cœur joie : aux éclats de rire se mêlaient courses et poursuites au cœur de l’érablière et les petits étaient toujours surpris par un départ qui venait trop tôt, à leur avis. « En caravane, allons à la cabane, oh! Eho! On n’est jamais de trop pour goûter au sirop… d’érable! » Pour les petits et pour les grands, la palette trempée dans le sirop n’était jamais trop sucrée. Et puis, arrivaient les voisins. Se sachant bienvenus, ils revenaient chaque année, sourire aux lèvres. Madame Lucie nous raconte qu’ils s’amenaient, chacun leur tour, emportant un contenant dans lequel il y avait de la farine, des œufs et un morceau de lard salé. En fait, ce qu’il fallait pour cuisiner les meilleures crêpes qui soient… sur le poêle à bois. Et, comme il se doit, arrosées du meilleur sirop d’érable! Hum! Du plaisir pour le palais dans une ambiance de blagues et de taquineries! Que de joie, que de plaisirs! Demain, on sera fin prêt à reprendre le collier. Et, avec plus d’allant!!!

Au moment du départ, on voulait montrer qu’on avait apprécié la visite. Madame Lucie se rappelle que son père remettait à chacun, un petit cornet d’écorce, dans lequel il y avait du sucre du pays. D’autres fois, ils repartaient plutôt avec de la tire. Plus tard, ce fut le sucre du pays, cuit à point, mais versé dans des moules destinés à cet usage. Que c’était donc fascinant quand on démoulait le sucre! Il prenait la forme d’un cœur ou celle d’une petite maison. On s’émerveillait du résultat! Le sucre n’était pas meilleur, mais il était du plus bel effet! « À l’an prochain! Merci ben! »  Et on s’en retournait le cœur joyeux. Il faut bien le dire, l’érablière a tenu au cours de toutes ces décennies une place très importante chez les Chouinard. Un paquet de souvenirs versés dans un moule printanier!

Du son temps, Marc fit grimper les effectifs de son érablière à six mille cinq cents entailles. C’était déjà impressionnant direz-vous! Qui aurait pu prédire que cette érablière atteindrait des sommets? Ses petits-fils Denis et Lucien reçoivent des groupes sur place et ils expliquent en détail le fonctionnement des installations modernes d’une érablière. Plus aucune comparaison n’est possible si on pense aux coutumes d’autrefois. Selon madame Lucie, l’érablière Chouinard a maintenant une capacité de trente-deux milles entailles. C’est qu’ils ont du sang dans les veines ces Chouinard! Au fil des ans, ce lieu acériculteur est devenu une véritable entreprise qui a su diversifier ses opérations.

Quand madame Lucie nous parle de son enfance, cela coule de source. Ce fut un épisode heureux tout simplement et une bénédiction que celle de vivre dans un foyer où l’harmonie et la joie de vivre font partie du quotidien. La famille vit sur une petite ferme dont la productivité est suffisante pour répondre aux différents besoins de la famille. Quand fut venu le temps d’apprendre à écrire, elle n’eut pas long à marcher : l’école n’était pas loin, pratiquement en face de la maison. Lucie y fit donc ses classes jusqu’en sixième année. Elle y passa son certificat. Dans ce temps-là, le fait d’avoir obtenu ce papier d’études donnait de l’assurance. Tous les efforts d’apprentissage académique étaient centrés sur l’essentiel et visaient le côté pratique de la vie du temps. Lucie serait donc en mesure de bien se débrouiller.

Elle se rappelle encore, avec bonheur, ces quatre années scolaires sous la guidance pédagogique de mademoiselle Irène Chouinard, sœur de Maria Chouinard-Alexandre. Chère Irène! C’était comme du sucre d’orge. Ainsi nommées, Irène et Maria faisaient partie des nombreuses filles à Dondé. Chez le couple « Dondé », on pouvait compter dix filles. Mais poursuivons. La fréquentation de cette école permit à madame Lucie de connaître une autre enseignante du nom de Florence Pelletier, sœur de Roger et de Louis-Hébert Pelletier de cette paroisse.  Mademoiselle Florence devint l’épouse de monsieur Étienne Avoine. Elle est décédée depuis plusieurs années maintenant.

Pendant longtemps, Lucie et sa sœur Solange ont soutenu leur mère dans la tenue de maison. Il était de mise, pour une future épouse, de savoir tenir un intérieur et de prêter main-forte aux parents qui en avaient généralement plein les bras. Cela comprenait un certain nombre de choses : les meilleures méthodes pour l’entretien de la maison, les différents trucs  culinaires, le lavage, le repassage, la couture, le tricot et la broderie… Concernant la broderie, elles apprenaient le point de croix. Cet apprentissage, comme le tricot, se pratiquait avec leur mère, le soir après le souper.

Le lavage s’effectuait en utilisant une laveuse à tordeur. Il y eut plusieurs essais plus ou moins fructueux dans la recherche et la mise en marché de la meilleure machine à laver. Ce fut une avancée laborieuse mais toujours progressive. Nous tentons ici de décrire l’une d’entre elles, très semblable à celle utilisée par madame Lucie. Nous parlons d’une magnifique invention qui date probablement des années 1930, plus ou moins.

Ainsi, la lessive brassait dans une très grande cuve par l’action d’un noyau central que le commun des mortels appelait « un pis de vache ». L’image leur était venue parce que ce noyau était muni de trois ou quatre tiges ayant approximativement la forme d’un trayon. Ce noyau s’agitait en deux mouvements contraires, alternés et répétitifs. C’était très chouette! Ce n’était ni l’électricité, ni le gaz qui animaient cette innovation. Voyons cela. Sur le dessus de la laveuse, on pouvait observer un manche de bois assez long, il n’était pas là pour rien. Placé au centre de la laveuse, il était accessible et facile à empoigner dit-on. Relié à un engrenage, il servait à mettre le noyau central en action. Ainsi le brassage pouvait  commencer. La femme de la maison le poussait de gauche à droite dans un mouvement identique à celui des essuie-glaces en marche. À notre avis, il ne fallait pas être pris des reins, ni de l’épine dorsale.

Avant de commencer les brassées, la cuve devait être dûment remplie de plusieurs seaux d’eau bouillante. Une fois ce devoir accompli, on y jetait le linge le moins sale et, brassée après brassée, on finissait logiquement par celui qui était le plus crotté. La raison? On souhaitait se servir de la même eau tout au long du lavage. Une seule opération! Si possible!

Une fois la lessive terminée, quand venait le temps de vidanger, on pouvait tout de même compter sur une voie d’écoulement. Il suffisait de déboulonner un bouchon à la base de la cuve. Au début, tout allait sur des roulettes. Vers la fin, l’écoulement s’arrêtait, même s’il y avait encore de l’eau dans la cuve. Alors là, on devait s’arc-bouter le long de la laveuse, et forcer pour la soulever afin d’arriver à lui faire vomir ses dernières tasses. Finalement, on lavait la cuve; elle serait prête pour la prochaine lessive. Une affaire de rien comme vous pouvez voir!!! Il nous faut admettre malgré tout que l’utilisation de la laveuse gagnait en facilité sur celle de la planche à laver. Cette description est incomplète. Voyons la suite.

Pendant le lavage, une fois qu’on jugeait la brassée propre, on vivait un grand moment : à corps replié, on plongeait les deux bras dans la cuve, la tête la première, en saisissant quelques morceaux, à l’intérieur. Si la prise était de taille comme celle d’une couverture épaisse ou d’un manteau de lainage, cela devenait lourd. Par la force du poignet, on dirigeait les morceaux recueillis et tout dégoulinants vers le « tordeur ». Le mot tordeur prend tout son sens, il servait à tordre, mais de façon moins exigeante qu’à la main.

Ce tordeur, disposé plus haut que la cuve, était composé de deux rouleaux compresseurs superposés et rapprochés l’un de l’autre. On pouvait voir une manivelle à l’un des côtés du tordeur.  Au moment d’introduire les vêtements, il fallait commencer à la tourner, car en procédant ainsi, les rouleaux s’activaient pour remplir leur fonction. Le rouleau du haut entreprenait une rotation sur lui-même vers le bas et celui du bas; celui du bas, une rotation vers le haut. Ils étaient conçus pour happer ce qui leur parvenait. Plus d’un enfant s’est vu entraîner en voulant vérifier ce procédé avec la main. Quand on dit qu’une fois la main dans le tordeur, c’est tout le bras qui y passe. Il s’agit-là d’une expression significative, elle est en même temps une image puisée dans le quotidien. Certains enfants portent encore des marques très visibles d’une telle expérience! «  Pauvre petit! Il s’est passé le bras dans le tordeur! » Cependant, ce genre d’accident est plutôt arrivé au moment où les laveuses à tordeur étaient devenues électriques ou bien à gaz. Les rouleaux tournaient sans l’aide de la manivelle. Le degré de dangerosité était beaucoup plus grand et exigeait par conséquent une grande surveillance. 

Pour terminer, l’eau, ainsi chassée des tissus, chutait dans la laveuse en tombant sur une espèce de tôle qui était sensiblement de même largeur que les rouleaux. Cette tôle d’aluminium avait une forme semblable à un porte-poussière et elle était habilement disposée sous les rouleaux compresseurs, favorisant le retour de l’eau dans la cuve.

Nous avons parlé des rouleaux. Ceux-ci pouvaient s’ajuster aussi bien pour essorer des tapis que pour tordre du linge fin. Quelques fois, on appréciait la présence d’une autre personne. L’une dirigeait les vêtements, l’autre s’emparait de la manivelle et activait le tordeur. Attention! Au moment du tordage, pas trop de distractions!!! Il ne fallait surtout pas que les vêtements prennent le chemin des engrenages. Si c’était le cas… il valait mieux entamer la chanson « Bats-toi ! ». Le moment était venu d’entamer une lutte à finir pour récupérer les culottes sans les déchirer. Si on n’y arrivait pas, il était préférable de continuer à chanter au lieu de s’enrager. Avec de la patience, on vient à bout de tout, semble-t-il. Il était possible de démanteler l’assemblage du tordeur, moyen ultime pour récupérer son linge à peu près intact.

Dans un autre ordre d’idée, madame Lucie nous rappelle que pour le tricot et la broderie, on s’installait, le soir après le souper, autour de la table avec, pour seul éclairage, une petite lampe à l’huile. Heureusement, quand on est jeune, la vue s’adapte même si la lumière est médiocre. Plus tard, ô joie délirante, la lumière jaillit sur tous les visages. On avait acquis une nouveauté : la lampe Aladin. Ce fut un ravissement! Elle portait bien son nom, cette lampe! On la croyait presque magique, tellement la différence d’éclairage était frappante. Il s’agissait là d’un autre principe qui, pour le temps, donnait un merveilleux résultat. Pourtant, elle fonctionnait à l’huile de charbon comme sa consœur à mèche plate. Tout en baignant dans l’huile de charbon, cette nouveauté était munie d’une mèche qui avait la particularité d’être ronde et creuse en son centre comme l’est un tuyau. On introduisait cette mèche spéciale dans un tube fixe qui  passait au centre du globe. La mèche trempait dans l’huile, elle montait dans la mèche en humectant toute  l’épaisseur et la périphérie. À l’achat, venait du même coup, un genre d’assiette bronzée munie de quatre chaînes. On assoyait gentiment dame Aladin dans cette assiette. Il ne restait plus qu’à l’accrocher au plafond où on avait pris soin de visser un crochet. Une fois qu’on avait mis le feu à la mèche, la lumière se propageait dans toutes les directions.

Dans les années 1940, Lucie et Solange demeuraient encore à la maison paternelle, et sous le même toit que Clément et son épouse, Rita Deschênes. Cette dernière était la nièce de madame Ernest Legros dont nous avons déjà rappelé le souvenir  dans le cadre de « Nos Souvenances ». Madame Rita donna naissance à neuf enfants. Parmi eux, des jumeaux : Yvon et Raymond. Chacun sait que les soins, occasionnés par un événement pareil, sont multipliés et loin d’amoindrir les responsabilités. Alors, dans le but de soulager leur mère, Lucie et Solange se sont donné le rôle de « nounous ». Il se trouve qu’elles y ont trouvé bien du plaisir ou mieux encore, du bonheur!  Chacune d’elles tenant à jour les moindres prouesses de leur protégé, que de choses à raconter! Rien ne passait inaperçu : la moindre incartade ou la plus petite finesse. Madame Lucie parle de cette époque avec toute la tendresse du monde. Quel plaisir que la compagnie de ces deux bambins en pleine croissance et dont l’évolution ne cessait de ravir! On voit bien ici le relais d’une génération à l’autre; des petits, protégés au mieux, entourés par une famille attentive. Enfants, bénis des dieux!   

Les ancêtres Chouinard propageaient la foi par l’exemple, comme paroissiens bien sûr, mais surtout au sein de la famille. Le chapelet se disait tous les soirs après le souper de dire madame Lucie. C’était la prière en famille. Tout le monde à genoux! Seuls ceux qui travaillaient fort avaient le droit de s’appuyer sur une chaise. Les autres n’avaient pas intérêt à se laisser ramollir. D’un simple regard, on rappelait la posture règlementaire pour ce type d’activité. Le dimanche, on ne manquait pas la messe. L’hiver, on se rendait en carriole, assis et recouverts en partie par la peau de carriole. « Une belle carriole avec des portes sur le côté! » de dire madame Lucie. Sans parler de la Messe de Minuit! Quels souvenirs, quels émois!  Parmi les coutumes religieuses dont madame Lucie se rappelle, on pratiquait aussi les Rogations. Il s’agit-là d’une coutume religieuse datant du Ve siècle. Elle se déroulait le jour de la Saint-Marc et les trois jours précédant l’Ascension, soit quarante jours après Pâques. Lors de cette cérémonie, madame Lucie pense qu’on procédait aussi à la bénédiction des grains. Il y avait procession et intercession pour attirer la bénédiction divine sur les récoltes et les animaux. Petit fait assez rare, monsieur Marc  avait cette particularité que son anniversaire de naissance coïncidait avec la fête de Saint-Marc inscrite au calendrier liturgique.

La visite chez les grands-parents revenait à intervalles réguliers. Les liens familiaux étaient forts! On se visitait à toutes les fois qu’on le pouvait. Chez monsieur Félix, les enfants grandissaient et chez le grand-père Chouinard, on disait toujours le chapelet. Les enfants à Lucie tournaient des yeux ronds. « Encore à genoux pour le chapelet? Ça ben l’air à ça! » Ces mots se lisaient sur leurs visages, car il n’était pas de mise d’étaler ses réticences à haute voix. Il nous est permis d’imaginer la scène. Un tableau en soi.

Quelques années avant son mariage, madame Lucie faisait partie d’un mouvement qui s’appelait la « Jeunesse Agricole Catholique ». La J.A.C. dont elle est devenue présidente. Nous avons pris connaissance de documents liés à cette activité. Bien sûr, les objectifs visaient l’affermissement des valeurs religieuses. Réflexions, discussions, chants et révision de vie composaient un ensemble lié à la Foi chrétienne. À la lecture des notes recueillies, à ce propos, on s’aperçoit qu’il est question d’apostolat, d’un apostolat guidé par l’amour et le pardon. On rappelait constamment l’attention qu’on devait porter à son âme. L’essence même de toute vie. Nous étions en 1948. Remarquez que pendant les nombreuses décennies qui ont suivi, et jusqu’au début des années 1970, peut-être au-delà, l’Église et ses prêtres donnaient beaucoup de leurs énergies visant la formation et la pratique des valeurs chrétiennes. (Nous avons connu la J.E.C. : Jeunesse Étudiante Catholique; nous avons connu aussi la J.R.C. Jeunesse Rurale Catholique). Ces mouvements aidaient les  jeunes à garder le cap des valeurs et de naviguer au mieux. Sous la directive de responsables diocésains, ces jeunes s’enthousiasmaient pour la droiture, tout en recherchant la vérité et l’intériorité par la prière. 

Durant cette même période, soit en 1948, il se donna des cours à La Pocatière. Ceux-ci seraient enseignés par madame Charles Gagné. Ces cours étaient proposés par le Cercle des Fermières de Saint-Pamphile. Selon les informations retenues par madame Lucie, une fois inscrite, on devait rester un mois sur place pour l’apprentissage et la maîtrise des différentes notions de couture, de tissage, de broderie et de tricot. Belle formation, il va s’en dire! Et les filles de notre coin ont été hébergées au Couvent de la Charité. Une fois les connaissances acquises, on revenait au bercail. Sans se tromper, on peut dire qu’on éprouvait une fierté légitime liée à la valeur et à l’utilité de tels travaux. Et, l’apogée fut que Félix vint chercher les filles. Le rôdeux! 

Comme pour beaucoup de jeunes femmes, la vie de madame Lucie a connu des transformations et des adaptations. Son mariage en 1949 compte parmi celles-ci. Elle unissait sa destinée à un homme  dont les intérêts, les énergies et l’ambition ne manquaient pas. Actif et intéressé, il trouvait du temps pour tout. 

Ici, à Saint-Pamphile, plusieurs se rappellent encore que monsieur Félix a opéré un moulin à scie, en compagnie de ses frères Jean-Léo et Jacques. Rappelons que monsieur Félix Caron était l’un des fils d’Albert Caron, qui, lui-même était propriétaire d’une scierie. Félix a donc été, très jeune, initié dans le domaine. On nous dit qu’Albert, qui habitait Saint-Pamphile avant 1915, ira s’établir cette année-là à Saint-Adalbert. Il y exploitera une scierie qui employait à l’époque trois ou quatre hommes. Les gars y travaillaient environ six mois par année. Trois fois, Albert dut reconstruire, car il vécut la pénible expérience de voir son moulin réduit en cendres.

Monsieur Albert Caron et son épouse revinrent à Saint-Pamphile en 1931, accompagnés de trois de leurs fils : Louis-Félix, Jean-Léo et Jacques; c’est ainsi qu’au fil du temps, monsieur Félix prit la relève. Il s’adonna au commerce du bois. Et, ce n’était pas là un sacrifice, cela lui plaisait. En quelque sorte, Saint-Pamphile connaissait alors une effervescence dans ce domaine-là. On était au début des années 1950. Plusieurs petits moulins à scie étaient en opération dont celui de Félix. Gaétan, qui y a travaillé, nous rappelle qu’au moulin de son père, il se sciait surtout du cèdre. Ce qui ne veut pas dire que monsieur Caron ne faisait pas bûcher d’autres essences comme le sapin et l’épinette. Si c’était le cas, il le vendait à monsieur Napoléon Gagnon qui était le père de Jean-Marie Gagnon qui fut propriétaire de l’Hôtel  central à Sainte-Perpétue. Les propriétaires précédents furent madame Thérèse Morneau, monsieur Ferdinand Cloutier, Georges Milliard. La bâtisse fut construite en 1890 par monsieur Joseph Robichaud. 

Mais revenons vite à notre histoire. Comme les autres entrepreneurs, monsieur Caron faisait chantier avec permis de coupe. Lui, c’est dans les forêts de Saint-Omer qu’il s’installa. Il avait l’équipement nécessaire : une chenille qu’on appelait une «drotte» et deux camions. Comme il était habituel dans le temps, on construisait sur place tous les bâtiments utiles aux chevaux et aux hommes. Et en avant les braves!   À cette époque, il fallait des « crew », des équipes de deux hommes et un cheval. Et puis, il fallait compter sur un cuisinier. Pour cette période de chantier, monsieur Félix engagea monsieur Camille Vaillancourt et plus tard, monsieur Lucien Paré. Il fallait aussi un « foreman », un mot communément utilisé pour désigner le contremaître. Monsieur Lauréat Bois le fut. Et pendant ce temps-là, le moulin continuait ses opérations! Madame Lucie, pendant ces années, n’a pas le temps de chômer. Son rôle, c’est de seconder son mari dans ses entreprises. Il fallait comptabiliser, faire les payes, tenir compte des actifs et des passifs. Noter toutes transactions effectuées ou encore les ententes écrites et verbales. Enfin, il fallait tenir les livres à jour, année après année. Ses semaines y passaient. Un travail constant qui demande de l’attention.

Composant avec toutes les improbabilités que réserve la vie, ces valeureux travailleurs étaient  prêts à tout, pour s’arracher la vie. Il faut des nerfs d’acier pour supporter tout ce qui arrive. Pour un chef d’entreprise comme le fut monsieur Félix, les surprises ne manquaient pas et certaines ont été difficiles à encaisser. En voici un exemple. Un accident survint qui mérite d’être porté à votre attention. D’après une coupure de journal fournie par madame Lucie, nous avons des précisions sur le cas d’un travailleur engagé à la scierie. Il s’agissait de monsieur Yvon Avoine. Yvon et un autre travailleur passaient du bois sur la scie ronde communément appelée la « Catherine ». Elle servait à couper les pièces de bois à l’épaisseur voulue. À un moment donné, il semble que le compagnon de monsieur Avoine, ait voulu retourner une pièce mal taillée. C’est à ce moment-là que la  pièce de bois de seize pieds de longueur et de trois pouces d’épaisseur fut projetée avec force et rapidité vers monsieur Avoine. La scie tournait à pleine capacité. L’extrémité du morceau entra par la poche droite de son pantalon et ressortit au-dessus de sa hanche gauche. Le travailleur, sous la force de l’impact, plia en deux et fut projeté dix pieds plus loin sur le plancher du moulin. La planche lui traversait le corps. Accourus, les secouristes entreprirent de scier le morceau de bois des deux côtés du corps. Ils n’avaient pas le choix! La manœuvre se déroula en présence du Dr Gagnon et de monsieur l’abbé Thibault, vicaire à Saint-Pamphile. Yvon, originaire de Tourville, était l’un des fils de monsieur Théophile Avoine du même endroit. Toujours est-il qu’Yvon, à ce moment-là, était un jeune marié qui avait pris alliance avec mademoiselle Pauline Leblanc de Saint-Omer. Nous étions probablement aux alentours de 1960, peut-être un peu avant. On raconte qu’il demeura conscient tout au long du voyage vers l’hôpital. Lucide et jovial, il a même conseillé aux ambulanciers de la Maison Claudius Lavoie de faire attention à son morceau de bois en passant dans les portes. Quand on le connaît, on ne met pas en doute ces paroles. Avec d’infinies précautions, les médecins réussirent à retirer le morceau de bois de deux pieds et demi qui  lui traversait le corps. On constata avec surprise qu’aucun organe vital n’avait été atteint. Il va de soi que son état était considéré comme grave, mais les médecins étaient d’avis qu’il s’en réchapperait. Et c’est ce qui est arrivé. D’ailleurs, monsieur Avoine est toujours vivant, à cette date. Il n’est pas bavard concernant cette épreuve. De visible, il ne lui est resté qu’une légère claudication et on pourrait être jaloux d’un caractère aussi paisible que jovial. Inutile d’ajouter l’inquiétude qu’un pareil accident a dû susciter dans la famille, dans les alentours et  tout autant du côté du patron. Et on peut supposer sans peine que monsieur Yvon Avoine a pu être soutenu par des prières intenses venant de tous côtés.

Autre exemple des épreuves reliées aux activités du moulin à scie : même avec toutes les précautions du monde, même en faisant la ronde chaque soir, le feu demeure menaçant. Monsieur Félix en eut plus que son lot de ravages et de destruction. En 1967, le feu sapait encore une fois le moulin, endommageant de façon irrémédiable la nouvelle machinerie et les réparations effectuées récemment. Tout a flambé comme un feu de paille. Une construction de bois de six milles pieds carrés qui opérait depuis vingt-trois ans. Elle produisait vingt-quatre heures sur vingt-quatre. La scierie répondait à un besoin du marché de douze millions de toises. On a recommencé. Les corvées! L’entraide, heureusement! Des dommages élevés à 50,000$.  Allons, courage! Il ne faut surtout pas se laisser abattre. Monsieur Félix atteint ses cinquante-huit ans à ce moment-là. Allons! Allons! On mixe le ciment dans la brouette et on le charroie de la même façon. Le courage? On allait le chercher dans la foi. Il en  fallait une tonne pour se remettre sur les rails au plus vite. Des hommes avaient besoin de travailler. Quand on est patron, on pense à cela aussi! Le moulin redevint opérationnel pour dix ans encore. Ce n’est qu’en 1977 que les activités de la scierie cessèrent complètement. Si on compte le temps passé avec son père, monsieur Félix aura connu l’anéantissement de son travail six fois! Toujours par le feu!  C’est beaucoup pour une seule vie!

Comme nous l’avons mentionné, prêtant son concours pour la tenue des livres, madame Lucie devait  engager des jeunes filles pour tenir la maison et surveiller les enfants. Comme sa sociabilité n’a jamais fait défaut, elle s’est liée d’amitié avec la plupart de ces demoiselles. Aussi, c’est un plaisir toujours renouvelé que de rencontrer l’une ou l’autre d’entre elles. Les souvenirs pleuvent et les rires fusent. On se remémore.

Une anecdote de ce temps-là nous est racontée. Un bon jour, on se rendit compte que Gaétan souffrait d’une dent cariée ou branlante. Nous étions au début des années 1960. On demanda au dentiste de passer à la maison. Et ce dentiste était un monsieur Plourde. À notre connaissance, il a arraché canines, molaires, prémolaires et incisives à pas mal de monde dans les hauts du comté. Il tenait ordinairement lieu et place à la salle paroissiale de Saint-Pamphile à jour fixe pour exercer son métier d’extracteur. C’est là qu’avait lieu généralement toutes les soustractions dentaires. Rien ne nous dit que le petit Gaétan, qui avait quatre ou cinq ans,  connaissait la fée des dents, mais chose certaine, pour ce qui est du docteur des dents, il aurait préféré ne jamais le voir! Ce jour-là, à l’apparition du dentiste, il devint  très alerte et non moins méfiant. Il surveillait. De son côté, le dentiste, qui en avait vu d’autres, se rendit compte que l’enfant n’était pas disposé. D’ailleurs, l’arracheur, qui occupait le tapis d’entrée, ne pouvait amorcer le moindre mouvement sans qu’il y ait un ajustement adéquat dans l’autre camp. La prudence était au rendez-vous et  à son paroxysme. Le dentiste réfléchissait. On fut soudain surpris par sa voix autoritaire : «Coudonc! Y veux-tu s’la faire arracher sa dent? Oui ou non?» Silence complet! Aucune réponse! Il faut dire qu’à « oui ou non? », le petit avait détalé comme un lapin, traversé la cuisine et plongé, sans égratignure aucune, sous le bureau de travail, occupé d’habitude par sa mère. On regarda dans sa direction. Loin de lui voir les dents, il ne restait que les yeux! Le dentiste haussa bras et sourcils; il s’en fut sur-le-champ, débouté, et bien certain d’avoir perdu son temps. On en rit encore dans la famille.

Nous avions mentionné plus haut les ambitions de Monsieur Félix. Ces dernières ne se limitaient pas au travail, ni aux responsabilités liées à la scierie. Il était d’une ardeur inégalée dès qu’il s’agissait de la question politique. Ses convictions le menaient vers l’avant. Un jour, n’apprend-t-il pas qu’un de ses jeunes voisins se préparait à briguer le poste de maire de Saint-Pamphile. Il s’agissait de monsieur Clermont Gagnon. À cœur vaillant, rien d’impossible! Clermont était jeune, valeureux et ambitieux. Monsieur Félix le fit venir. Il manifestait ainsi le désir de lui offrir son soutien en lui partageant conseils, tactiques et mots à utiliser…surtout ceux à éviter. Suzanne nous assure que jusque dans la maladie, qui le tint aliter les dernières années de sa vie, il ne démordit pas de son intérêt pour les affaires politiques. Avec un engouement pareil, il aurait pu devenir un politicien de carrière.

Il faut dire que monsieur Félix n’était pas le seul à s’échauffer des partisanneries politiques. Dans ce temps-là, on croyait au gouvernement qu’on avait choisi et on le laissait savoir. On était d’une telle fidélité et d’un tel zèle pour ses convictions, qu’on ne retrouvera plus une telle ardeur  chez les électeurs. Ces enthousiasmes sont le reflet d’une époque.  Pour sa part, Félix était bleu et à l’instar de tous les bleus réunis, il ne comprenait pas qu’on puisse penser rouge. Et, comme nous l’avons dit, quand on avait choisi son clan, il n’était pas question de virer son capot de bord à la moindre occasion.

Lors des campagnes électorales, il s’en suivait une activité fébrile et débordante; les fièvres partisanes atteignaient des pics incomparables. Monsieur Félix était organisateur, à Saint-Pamphile, pour l’Union nationale. Il travaillait d’arrache-pied pour faire élire son député qui, en l’occurrence, était le Docteur Fernand Lizotte. Soit dit en passant, le Docteur Lizotte, comme on l’appelait toujours, était un orateur comme il ne s’en fait plus aujourd’hui. Et on peut dire la même chose de l’un de ses homologues libéraux, monsieur Jean Lesage. Imaginez l’impression qu’ils avaient sur les gens : phrases châtiées, emphases, habiletés à jongler avec les mots, à argumenter, à transmettre des opinions, à débattre des points de vue, tout cela employé dans le but de convaincre. On n’a jamais fait mieux au théâtre. Quoi qu’il en soit, monsieur Félix se débattait pour Duplessis. On peut dire que le Premier Ministre du temps était accoté ici dans le coin! Monsieur s’avérait un supporteur de choix. Les doutes et les tergiversations ne faisaient pas partie de son univers politique.

Quand la période électorale battait son plein, madame Lucie se rappelle des voyages organisés par monsieur Félix. Tout ce beau monde se rendait dans les maisons privées ou le plus souvent dans les salles paroissiales. Ils allaient à la rencontre de leur député. C’était un moment intense de cabale qui roulait à fond de train. L’urgence? Gagner des votes! Aux temps des caucus Monsieur Félix embarquait des gars dans la boîte arrière de son vieux « pick-up ». Les voilà partis, circulant par monts et par vaux, dans des chemins de gravelle. Tant et si bien, qu’au  retour de cette randonnée mémorable, empoussiérés à souhait, ils étaient devenus quasi méconnaissables. Et, c’est précisément cette arrivée poussiéreuse qui faisait sourire malicieusement madame Lucie. Elle s’en amuse encore aujourd’hui! Sans doute a-t-elle toujours pris avec un grain de sel tous ces engouements aux couleurs rouge et bleu qui  prenaient des allures de sagas.

Il ne faut pas douter qu’en ces temps-là, nombreux étaient les chauds partisans. Le temps pouvait être orageux! En temps d’élections, le mercure montait. La prudence consistait à savoir convertir. On évitait, si possible, de flétrir. Il était facile de froisser les susceptibilités. On pouvait tomber en saison froide bien avant l’heure.  Et le pire, c’est qu’il arrivait que cette rancune, survenue en période électorale, s’incruste comme une tache indélébile! Quoi qu’il en soit, le Docteur Lizotte a gagné ses élections dans le comté de L’Islet cette année-là. Nous croyons savoir qu’on lui doit l’asphalte de notre route Elgin.

En temps de campagne électorale, il se passait toutes sortes de parades. La journée du vote, certains étaient désignés pour faire le tour des rangs… ils allaient chercher des votants qui, soi- disant, ne pouvaient pas se rendre au bureau de votes! Ceux-ci  ne possédaient pas de voiture ou tout simplement n’avaient pas envie de voter. Ou encore, attendaient-ils une quelconque opportunité, comme on le verra. En tous cas, ils se faisaient tirer l’oreille. Eh bien! Il fallait qu’ils votent. Là, on pouvait observer une sorte de « graissage de pattes » de circonstance! Dans la voiture désignée pour effectuer les voyages dans les rangs, on trimbalait du petit blanc, ou des caisses de bière. Il faut comprendre que certains se laissaient acheter! Il faut dire que les électeurs engagés et les voisins surveillaient attentivement ces allers-retours.  C’était une manière, peu orthodoxe d’acheter des votes. « Y l’ont acheté avec une caisse de bière ». On les considérait de haut! Pas d’opinions! Pas de fierté! Pour ceux qui se foutaient de la politique, c’était une occasion toute rêvée! Chacun son clan!

Une fois qu’on avait gagné la coupe électorale, on exultait! Un délire total! Certains allaient jusqu’à allumer des feux de joie dans la cour des voisins. Ces exubérances occasionnaient des aigreurs acides pour les uns, tandis que d’autres, plus philosophes, s’en amusaient. On triomphait à coups de hourras gutturaux et de klaxons tonitruants. On circulait à grand bruit! Tout cela donnait lieu à des situations cocasses.

Dans une autre perspective, un de ces jours, avait-on perdu ou gagné, on ne sait plus trop, madame Lucie raconte qu’il y avait pas mal de monde attroupé dans leur cour. On était à proximité du moulin, chez monsieur Félix. Madame Caron se rappelle que monsieur Polycarpe Bélanger surnommé l’Ti et un parent de ce dernier, monsieur Roger Leblanc de Saint-Omer, avaient monopolisé la galerie. Ils travaillaient tous deux à la scierie des frères Caron. Donc, ils se sentaient dans l’coup et ils avaient pris un coup!

À ce qu’il paraît, l’attroupement eut droit à tout un discours. Hors normes et hors règles. Les deux compères, le verre à la main, postillonnaient à qui mieux, mieux. Ils annonçaient des jours meilleurs… en abreuvant l’assistance de sornettes. Pris d’élans subits, ils gonflaient le torse, donnaient de la voix et promettaient à tour de bras. Dans un discours décousu, ils recommandaient des projets aussi percutants que dérisoires! On riait! En cas de défaite, ils menacèrent tout le monde. Transformés en prophètes, ils annonçaient les pires  catastrophes et de dangereuses retombées. Des regards sévères étaient jetés sur l’assistance : on avait intérêt à voter du bon bord! « La croix! C’est ça qui importait, la croix! Combien de fois fallait-il le répéter!!! Faites-la, à la bonne place! Une croix, c’est une marque qu’on fait sur le bulletin de vote! Faut juste qu’elle soit du bon bord! C’est tout’! » Centre de l’attention, tout entier à leur cabale, les deux compères s’étaient transformés en amuseurs publics. Fiers d’occuper la tribune, leur délire politique ne s’arrêta que lorsque tout ce beau monde fut mort de rire! Mes frères, levons nos verres!    

On se rappellera que monsieur Félix se présenta comme maire à Saint-Pamphile. Il fut élu en 1955. Il supplantait monsieur Honoré Pelletier. Tout en vaquant à ses responsabilités à la tête de la municipalité, il fut l’instigateur du Livre blanc qui reçoit encore de nos jours les signatures de nos visiteurs. Quatre ans plus tard, il perdit à son tour ses élections. Il fut remplacé par Majoric Saint-Pierre. Beaucoup d’entre nous savent que toutes les partisanneries politiques citées plus haut, couvaient continuellement. On avait beau être maire et avoir les meilleures idées, cela devenait un vrai malheur d’arborer le mauvais fanion, car la couleur de ses opinions enrayait la poursuite des plus beaux objectifs. C’est ainsi qu’un projet, comme celui d’un aqueduc, proposé par monsieur Félix Caron ne connut pas d’aboutissement. Il était « bleu! ». La couleur de son parti n’était pas assortie à celle du pouvoir central. Le projet ne pouvait pas aller de l’avant. Il s’agissait-là des règles du temps. Et si l’on voulait perdurer, il fallait s’adapter! Plus tard, monsieur Laurent Anctil fut nommé maire à son tour. Il proposa les travaux pour la mise en place d’un aqueduc municipal. Miracle! Les choses ont marché rondement! Monsieur Anctil était libéral et les hautes sphères rougeoyaient! Le chanceux!

Ainsi en allait-il des jeux de couleur… Madame Lucie se souvient que du jour au lendemain, on perdait son emploi, à cause de nouvelles conjonctures. Le gouvernement venait de changer.  Hier, la niveleuse ou le « grader » ou encore « la gratte » comme on l’appelait dans les rangs, trônait comme un monument glorieux chez le deuxième voisin pendant trois ou quatre ans. Une fois les élections passées, « la gratte » déménageait du deuxième au quatrième voisin. Dans de telles conditions, il n’y avait que la « gratte » qui n’était pas affectée, car la situation devenait délicate et des chicanes garanties dans bien des cas. Autre exemple, le bureau de poste avait ses assises chez Marc Chouinard en 1940. Il se retrouva du jour au lendemain chez monsieur Bonaventure Moreau à cause qu’Adélard Godbout venait de prendre le pouvoir. Enfin, vous voyez le tableau.

Nous avons mentionné plus haut, la fermeture du moulin en 1977. Monsieur Félix avait soixante-sept ans. Il mourait deux ans plus tard à la suite d’un cancer. Habituée à occuper son temps et bien avant la fermeture du commerce, madame Lucie ne manquera pas d’apporter sa pleine contribution lorsque la communauté paroissiale décida de se doter d’un organisme de charité et cela dès 1956, quand la fondation de la St-Vincent-de- Paul fut mise en place. Dans un premier temps, elle devint secrétaire du comité et ensuite présidente entre 1959 et 1964. Remplacée un certain temps par madame Ernest Legros, elle reprit la barre de la présidence jusqu’à sa fermeture en 1984. L’organisme mentionné pourvoyait aux besoins élémentaires de certaines familles dans le besoin. Les réclamants s’inscrivaient sur une liste, que ce soit pour les paniers de Noël ou pour compenser une pénurie de vêtements essentiels. Comme dans toutes les communautés, des surprises étaient réservées aux bénévoles. Bien qu’en de rares cas, il arrivait que certaines personnes, inscrites sur la liste, soient très bien portants, d’une santé évidente et à l’abri de la misère. Les bénévoles, une fois introduits dans la maison était à même de juger. Il n’y avait qu’à regarder l’arbre de Noël, bien en place, garni de toutes ses brillances…, on pouvait se faire une idée. Tandis qu’en d’autres lieux, le cœur se serrait. La triste ambiance et l’évidente nécessité étaient jumelles, synonymes de carence. Cela sautait aux yeux! Et comme on aurait voulu effacer ces souffrances! On repartait le cœur triste, laissant provisions et vêtements. 

L’oisiveté ne faisait pas partie des règles de vie de madame Lucie. Nous avons pu admirer chez elle quelques pièces artisanales encore disponibles. Ah! Le travail minutieux de ces mains travailleuses et soucieuses de perfection. Cela se voit au premier coup d’œil. Pièces rares dont une courtepointe : remarquable morceau fabriquée de carreaux de lainage. Souvenir précieux puisqu’il a été confectionné avec Dorothée, une sœur tant aimée! Madame Dorothée  a rejoint, il y a quelques mois, le monde invisible. Elle était artisane elle aussi! Ainsi que Solange, mariée à monsieur Albéric Saint-Pierre. Que de belles pièces! Des taies d’oreillers brodées! Quel plaisir pour l’œil! Cinquante-quatre ans au Cercle des Fermières pour madame Lucie! Travail béni que celui de l’artisanat!

A partir de 1951, elle s’activa auprès des Filles d’Isabelle. On peut compter cet organisme parmi ceux qui offrent soutien et entraide lorsque se présentent des cas particuliers dans la paroisse.   Dix années de services rendus au le Club de l’Âge d’Or comme secrétaire! De plus, elle apporta sa  fidèle contribution à la Fabrique en comptant l’argent des quêtes de 1992 à 2008. Riche de ses valeurs, Madame Caron croit à l’importance des causes humanitaires comme en témoignent ses engagements.

D’ailleurs, rappelons que madame Lucie est issue d’une famille chrétienne fidèle et pieuse. Et son époux, monsieur Félix n’était pas moins croyant. Il aimait sa foi aux dires de Suzanne. À tel point qu’à la lecture de la passion, lors des cérémonies pascales, des larmes de compassion s’échappaient, bien malgré lui.

Comme Félix avait un fils dans les Ordres, la famille Caron vivait en contact avec les ecclésiastiques. Certains, comme l’abbé Dumais et l’abbé Thibault étaient des amis. L’un des souvenirs religieux le plus marquant pour la famille est celui du plus grand déploiement liturgique de l’année. Il s’agit de la Fête-Dieu située soixante jours après Pâques, soit une semaine après la fête de la Trinité. On l’appelait aussi la fête du Saint-Sacrement. Cette coutume datait des années 1318 sous la régence du pape Jean XXII. La tradition s’inscrit à partir de cette date. Mais revenons aux années vécues par nos parents et de nos ancêtres éloignés. Il y avait alors une procession après la grand-messe au cours de laquelle on assistait comme d’habitude à la consécration de l’hostie. L’essentiel de cette fête, à partir de la consécration de l’hostie, se voulait une attention religieuse envers Notre-Seigneur-Jésus-Christ.

Voici comment on procédait à la sortie de l’église : tous les paroissiens formaient une rangée. Ils se regroupaient, deux par deux, derrière le prêtre de la paroisse, vêtu de blanc. Celui-ci se tenait sous le dais. Les chantres et tous les enfants de chœur se plaçaient devant. Parmi eux, un porteur de croix. L’un d’eux marchait à reculons avec l’encensoir.  Il encensait le Saint-Sacrement tout au long du parcours. Un autre garçon se tenant à ses côtés pour l’approvisionnement. Il puisait donc un peu d’encens avec une petite cuillère pour le jeter ensuite sur les tisons afin que l’encensoir soit ravitaillé. Le dais mentionné était un magnifique tissu ramagé, de forme rectangulaire, brodé de symboles religieux dont les quatre côtés se terminaient par une frange de quelques pouces. Ce dais était soutenu par quatre marguillers ou par des hommes faisant partie de la Ligue du Sacré-Cœur ou les deux. Ils pouvaient aussi se composer des notables de la place. Ces hommes étaient placés à chaque coin tenant chacun une tige de bois d’une certaine longueur et d’assez bonne proportion. La hauteur importait, car il ne fallait pas accrocher monsieur le Curé qui se trouvait sous le dais tenant en ses mains un ostensoir contenant l’hostie consacrée. Ce vase sacré était d’une magnificence sans pareille. Il brillait de tous ses feux. Un soleil d’or. L’hostie était placée en son centre, les rayons irradiaient à partir du centre pour se déployer vers l’extérieur. C’était très beau.

Une attitude de respect et de vénération s’imposait pendant le déroulement de la cérémonie. À la sortie de l’église, comme on l’a expliqué, dans un temps relativement court, tout le monde se mettait en branle. On entonnait le Tantum Ergo suivi de chants religieux et de litanies. Les organisateurs étaient des bénévoles. On peut comprendre que la réussite d’une pareille fête nécessitait temps et énergies de toutes sortes. En vue du déplacement, il était de coutume de marquer le passage de la procession, soit par des images religieuses accrochées aux façades des maisons ou des fleurs jetées le long du parcours ou encore de la verdure ou des herbes odoriférantes. Il est même arrivé qu’on plante une certaine quantité de conifères sur la longueur du parcours.

À Saint-Pamphile, souventes fois, la procession s’est rendue au domicile de monsieur et madame Félix Caron. D’ailleurs, l’ecclésiastique choisissait la maison qui servirait de lieu pour le reposoir et il n’aurait pas été surprenant qu’il vienne constater de visu que tout soit conforme à ses attentes. On veillait à ce que les membres de la famille choisie comptent parmi des paroissiens exemplaires. Ceux-ci préparaient le perron avec fleurs, banderoles, images saintes. À certains endroits, on déroulait le tapis au centre et sur la longueur de l’escalier. Était requis un autel où serait déposé le St-Sacrement. C’était le reposoir. Il devait être orné le plus somptueusement possible. Sans oublier des cierges de cire. Les statues n’y seraient cependant pas à leur place. Si possible, on pourra installer un petit baldaquin au-dessus de l’ostensoir. Quand le prêtre arrivait sur les lieux, il déposait l’ostensoir sur l’autel et il procédait aux prières. Il louait le Jésus-Hostie par l’office du salut au Saint-Sacrement. Respectueux envers les coutumes religieuses en cours à cette époque, la famille Caron prenait plaisir à tout mettre en place. Comme vous le voyez, ce n’est pas d’aujourd’hui que madame Lucie porte à l’avant ses valeurs chrétiennes et ses engagements.

Dans une perspective plus laïque, l’Écho d’en Haut, notre journal régional, a pu compter sur son  active participation. Non pas une année mais bien vingt ans. Sait-on vraiment la valeur  d’une personne responsable dans une équipe?  A chaque mois, lors de l’approche de la tombée, elle se rendait au local pour participer à l’assemblage. Reconnaissance! Et comme madame Lucie aime la sociabilité, elle ne peut s’empêcher de bouger. Ainsi, l’organisme « Vie active » a trouvé écho en elle, car les aînés s’y rassemblent. Comme nous l’avons souligné, cette sortie de semaine lui permet de reprendre contact avec ses connaissances, de participer à des discussions, à des divertissements.

Pour ce qui est du bénévolat, elle y voyait sûrement une raison d’être qui s’est manifestée par la charité envers ses semblables. Il nous faut souligner encore sa présence discrète mais combien vivante! C’est qu’elle n’est pas tapageuse pour deux sous! Cette précieuse dame a œuvré pour les siens et pour la communauté sans fléchir. Reconnaissance!

Madame Lucie a donné beaucoup de sa personne. Aujourd’hui, elle attire notre attention sur le plus précieux héritage. En effet, c’est pour elle une grande source de joie que de se trouver grand-mère de cinq petits-enfants et arrière-grand-mère d’un beau Benjamin tout frais émoulu dans ce monde. Il est le fils d’Édith, celle-ci étant la fille de Marc-André et Chantal. Qu’il est donc beau cet enfant-là! On peut être assuré que madame Chouinard-Caron se tient très au courant des faits et gestes de chacun d’entre eux. D’ailleurs, elle s’est donné la peine de déplier la carte pour nous indiquer l’endroit où se trouve ce petiot. Douze heures de route, ce n’est pas rien! Madame Caron ne fera pas le voyage, mais elle sait exactement où il se trouve….. Benjamin. 

Et, c’est sur cette belle note que nous devons clore cette riche entrevue. Dans le cadre de « Nos Souvenances », la documentation fournie par madame Lucie nous a permis de ratisser large. Quels vaillants bâtisseurs! Le clan Chouinard n’est pas en reste, loin s’en faut!

Que d’énergies déployées! Que de volonté! Que de talents! Les souvenirs patrimoniaux sont des pages indélébiles. Saluons nos ancêtres, car chacun a su poser, avec vaillance et fierté, le maillon unique dont il était le destinataire. Nous leur devons respect et la reconnaissance. Soyez remerciée madame Lucie. Votre participation porte la précieuse marque du souvenir.